Black Lips à la Sala Heineken (Madrid) le dimanche 8 mai
Bien, ne tournons pas autour du pot (du crachoir ?), le concert de ce soir sera le meilleur que j'aie vu de Black Lips, mais aussi le meilleur depuis le début de l'année 2011, sans parler du fait qu'il aura engendré au cours de l'un des plus beaux moments d'hystérie collective de la soirée le premier vrai pogo général dont j'aie été témoin depuis mon déménagement à Madrid... On sait que les quatre joyeux lurons de Black Lips se sont calmés avec l'âge, mais cela reste relatif : Cole ne vomit plus sur les spectateurs, et personne n'urine plus sur scène, mais trente secondes après l'entrée de Ian à un mètre de moi, je suis déjà complètement douché à la bière, Ian ayant fait son habituel numéro de sprinkler humain (non, ce n'est pas de l'eau, c'est de la Heineken, salle oblige !). Le premier morceau (Sea of Blasphemy) est dévastateur, je n'ai jamais encore entendu Black Lips comme ça : c'est du punk pur et dur, porté par un son parfait dans le genre crade et sursaturé (les tares habituelles de la Sala Heineken jouent ce soir en faveur du groupe !), et délivré avec une intensité contagieuse. Wouaouh ! Quelle claque ! Beaucoup moins "slackers" que naguère, Black Lips est désormais un groupe qui joue fort et dur, et le public suit comme je ne l'ai encore jamais vu faire à Madrid (la présence de nombreux Américains dans la salle, peut-être ?). Ian, qui sera ce soir le plus méchamment déjanté, avec son inquiétant sourire métallique, se penche sur le décolleté généreux d'une jolie photographe à ma gauche et lui lâche un énorme glaviot glaireux sur les seins : la fille se scandalise, Ian lui fait signe que tout va bien, et qu'elle peut lui cracher dessus en retour, ce qu'elle s'empresse de faire ; Ian ramasse alors le crachat de la fille et le suce goulument ! "Que asco !", j'entends derrière moi... Eh oui, alors que les stage divings se multiplient malgré la hauteur de la scène, il faut se protéger aussi bien que possible des jets d'objets divers, vêtements, verres de bière souvent pleins, et crachats bien sûr !
Sur scène, Black Lips se sont lancés dans leur habituel répertoire-bric à brac, passant sans frémir de la pop primitive au psychédélisme hanté en passant par de jouissives accélérations punk... Et c'est donc sur l'un de ces morceaux - je ne connais pas tous les titres, pardon ! - que se produit le grand basculement orgasmisque dans l'hystérie : alors que les deux guitares de Cole et Ian ramonent et que Joe Bradley semble détruire sa batterie de rage, tout le monde dans la salle hurle comme des possédés, c'est la nuit des morts-vivants, le bal des zombies, le mosh pit n'est plus qu'un amas de corps enchevêtrés, les slammers s'écrasent la gueule par terre et se relèvent en rigolant, les jets de bière sont continuels, inutile d'essayer d'y échapper, et je sens la folie m'envahir, oui, les cheveux dressés sur la tête, les coups qu'on ne sent plus, la gorge bloquée sur le mode "cri hystérique",... Bref, le bonheur, quoi ! La claque ! Black Lips ! Black Lips !
Quelques titres plus calmes pour se remettre de nos émotions, et pour de nouvelles pitreries : Cole juché sur la batterie qui embrasse Ian sur la bouche, Cole qui lèche les glaviots et la bière qui dégoulinent de sa gratte, Ian qui réclame à grands cris une nouvelle bière et... en reçoit un grand verre (bien rempli) en pleine poitrine, de la part d'une spectatrice taquine... Et puis c'est le moment de Hippie Hippie Hoorah, l'incontournable cover de ce cher Jacques (Dutronc), dans une version extatique et spectaculaire ce soir : marrant d'entendre ce vieux tube français au milieu d'un public madrilène qui doit penser qu'il s'agit d'une composition de Black Lips, quand même...
Je disais que Black Lips sont plus calmes, en fait il m'ont surtout paru ce soir complètement joyeux, décontractés, sans rien de malsain, en parfaite adéquation avec un public qui est là pour s'amuser, pas pour se battre : et ça, ça fait la différence aussi... Le bordel le plus noir, oui, mais dans la bonne humeur... Arrive donc le moment attendu de tous de l'invasion de la scène, alors que le concert touche à sa fin : c'est la fête, tout le monde gueule dans les micros (ou pas), Jared reste impérialement cool au milieu du chaos (eh oui, ce mec est vraiment "classe", et je ne croyais pas que je dirais ça un jour d'un "black lip" !). Après le pur moment de bonheur général qu’est Bad Kids, avec toutes les lumières allumées, le set se termine sur un beau morceau sonique - ça aussi, c'est nouveau, et j'avoue que ça me plait bien, ce déluge de guitares sursaturées, façon My Bloody... -, parfaite conclusion de 55 minutes presque parfaites.
Du coup, je crains un peu le rappel, que la magie se dilue, mais non, deux chansons pop faciles à reprendre en chœur et un au revoir en force, que du nanan !
Voilà, c'est fini, 65 minutes en tout et pour tout, sans aucune peur cette fois, - sauf peut-être quand Ian a fracassé une bouteille sur scène pour se faire un "bottleneck" et que les éclats ont volé dans tous les sens... 65 minutes de pagaille et de musique excitante, 65 minutes de pur rock'n'roll. Je demande la set list, mais elle est trop noyée dans la bière pour être récupérable, alors, gentiment, on m'en remet une autre, plus sèche, qui vient de backstage. Sympa...