Deerhunter à la Riviera (Madrid) le jeudi 14 avril
Nous devrons attendre un moment pour que Bradford Cox et son Deerhunter commencent leur set, avec un bon quart d’heure de retard sur le programme. Bien entendu – et c’est triste, mais humain – la première impression du set, c’est la laideur frappante de Bradford, malheureusement affligé d’une grave maladie génétique, le syndrome de Marfan : haute taille, longs membres grêles, maigreur extrême, Bradford fait d’abord peine à voir, surtout qu’il est visible que sa musique, et son chant en particulier, se sont nourris des angoisses normales liées à sa condition précaire. Reste que, très rapidement, le jeu de guitare superbe de Bradford, ainsi que sa tenue de scène assez imposante, font que l’on oublie le jeune homme malade pour ne plus voir que le frontman charismatique et inspiré. Le concert débute paradoxalement par Desire Lines, le plus beau morceau du dernier album, un morceau qui est d’ailleurs chanté par le second guitariste, Lockett Pundt : je me sens d’abord frustré par ce démarrage « à froid » qui me prive un peu du plaisir fin de cette chanson superbe, mais quand on considère la construction du set, il est vrai que Desire Lines est une parfaite introduction en douceur à l’univers psychédélique beaucoup plus torturé de Deerhunter…
A partir de là, nous allons donc glisser dans un univers très original – les influences de Deerhunter sont tout sauf évidentes, et leur musique fort peu référentielle, ce qui est somme toute merveilleux en notre époque de copier-coller – et chaque chanson extraite de « Halcyon Digest » (le seul album du groupe que je connaisse) va prendre une scène une vie nouvelle, et surtout une amplitude sonique tout-à-fait surprenante : le concert sera en fait un enchaînement ininterrompu de longues digressions psychédéliques construites sur les accords et les mélodies des versions bien plus brèves de l’album. Ça ne marche pas toujours, parce qu’on perd un peu de l’originalité bancale de « Halcyon Digest », mais quand ça marche, c’est tout bonnement superbe : d’ailleurs, à la quarantième minute du set, sur un ancien morceau que je ne connais pas, on attendra ce fameux « orgasme » que nous espérons tous à chaque concert, avec la musique comme une vague merveilleuse qui engloutit tout, et le public qui chavire en masse… L’ovation qui suivra sera tout simplement assourdissante, et interminable. Juan Carlos me regardera alors, tout étonné (et ravi…) : « Joder, que fuerte ! ».
Deerhunter ne tiendra malheureusement pas ce niveau tout au long du concert, mais la musique restera toujours passionnante, assez « érudite » en fait, et aussi très spectaculaire, entre light show coloré et fumigènes typiques d’un set psychédélique. Hormis le chant intense et déchirant de Bradford, on appréciera particulièrement la basse régulièrement sursaturée du flegmatique Josh Fauver… Curieusement, le concert se terminera plutôt entre deux eaux, avec des problèmes de guitare de Lockett et des morceaux moins intenses, et s’avérera un peu plus court que prévu, 1h20 au lieu des 90 minutes annoncées (la faute au retard au démarrage ?).
PS : l'intégrale de ce CR sera posté sur le blog des RnRMf !