These New Puritans à la Joy Eslava (Madrid) le samedi 13 novembre
A voir le nombre de gens qui s'affairent sur scène et la quantité de matériel en train d'être installé, je suis rassuré quant aux ambitions de These New Puritans : même sans le renfort d'un orchestre classique, nous n'aurons pas droit à une version au rabais de leur grand'oeuvre "Hidden". Ceci dit, il semble y avoir pas mal de problèmes techniques sur scène, en particulier avec le petit synthé de Jack Barnett, et on sent la panique qui monte alors que les 22 h s'approchent (à la Joy Eslava, tous les concerts que j'ai pu voir n'ont jamais dépassé la barre fatidique des 23 h...). Enfin, alors qu'il est presque 22 h 10, le trio entre en scène, soutenu par deux cuivres placés sur la gauche : devant moi, Jack, et à l'arrière plan, le frérot George à la batterie sur la droite, et Thomas au fond aux samplers et aux percussions (pas de trace de l’élément féminin du groupe ce soir…). C'est We Want War qui ouvre la soirée, et, autant le reconnaître tout de suite : on se prend un véritable uppercut au creux de l'estomac ! Le son est démoniaque, d'une précision et d'une clarté spectaculaires, la musique a la même violence froide que sur l'album, la combinaison de la frappe clinique et pourtant brutale de George avec les percussions déchaînées, les grondements sépulcraux des synthés, et surtout les cuivres qui bruissent, raclent, grincent, tempêtent, tout est stupéfiant ! J'ai l'impression de n'avoir jamais assisté à un concert aussi complexe, maitrisé, et pourtant débordant d'une violence aussi menaçante... Je craignais une interprétation froide, vu la difficulté de reproduire live une musique aussi ambitieuse, il n'en est rien : la fureur des percussions qui nous défoncent les tympans, mais surtout l'intensité avec laquelle Jack vit sa musique créent une sorte de brûlure, douloureuse, inattendue. On enchaîne avec fabuleux Three Thousand, majestueux, bouleversant, alors qu'Inés, arrivée en retard, parvient à nous rejoindre, Luis et moi, au premier rang, bien calés que nous sommes entre les gros caissons placés comme d'habitude devant la scène de la Joy Eslava. La salle est maintenant archipleine d'un public qui semble comme tétanisé par l'assaut sensoriel et émotionnel de la musique de These New Puritans... Petite prise de bec avec un photographe arrogant et mal poli qui empiète sans vergogne sur notre espace vital - un soupçon de nostalgie quand je pense à nos accrochages réguliers à Paris, le genre de choses quasi impensables en Espagne... Je ne dirais pas non à un petit échange de coups avec cet imbécile alors que les dissonances jazzy de Hologram lacèrent l'atmosphère... Mais bon, le photographe finit par se casser, non sans me jeter des anathèmes et insultes diverses... Cool !
Le set de ce soir, court, trop court (55 minutes max, rappel compris) va être consacré à l'interprétation quasi intégrale - sans les intermèdes orchestraux - et dans l'ordre de "Hidden", avec seulement trois morceaux plus anciens, Swords of Truth, Elvis et Infinity ytinifnI qui tranchent sur la noirceur infernale du reste, avec une ambiance plus électro-rave, qui rendra d'ailleurs le public des anciens fans extatique !! A noter en particulier Elvis, un titre magnifique, d'une violence redoutable, le public sautant sur place comme des haricots mexicains... Le bonheur dans la transe, quoi ! Il est remarquable de constater combien, à cinq, et sans recours important à des "bandes", le groupe reconstitue le son d'album : ne manquent que les voix menaçantes (l'ambiance sépulcrale et démoniaque à la "Eyes Wide Shut", comme dit Inés...) des chœurs, qui sont par instants ajoutées électroniquement sur le chant fragile, incertain, maladif même de Jack... De toute manière, la tension insufflée par l'attitude scénique torturée de ce dernier, son flow saccadé très hip hop contrastant avec sa voix blanche très anglaise, son jeu convulsif à la guitare, suffisent amplement à notre bonheur... Arrive enfin Attack Music, terrassant dans une version longue : manquent les frottements des lames, mais le rituel macabre fonctionne dans toute sa splendeur. Je hurle “It was September harmful logic, It was September, this is ATTACK MUSIC !” avec Jack, la fascination est totale. Mais notre bonheur, si intense, si fugace touche à la fin. Un chute de tension brutale, "Au revoir, merci. Au revoir!" (… en français, Jack semble se mélanger les pinceaux dans ses langues étrangères !) et c'est terminé. Le rappel viendra rapidement, et alors que j'attends une autre séance de transe électrique pour bien finir, c'est curieusement la chanson complexe et torturée, mais relativement calme de White Chords - comme sur l'album, qui clôt le set. Surprenant, certes, un peu décevant peut-être, sauf que ça a été magnifique d'entendre la voix blême de Jack, comme un fantôme perdu dans les tréfonds de la machine.
Je suis sous le choc, et du coup je ne pense même pas à me battre pour récupérer l'une des set lists... Bah, une photo fera l'affaire... Luis, les yeux brillants, m'affirme que c'est le meilleur concert qu'il ait vu à Madrid, et je dois dire que, au risque de subir l'anathème des amis, Arcade Fire aura fort à faire samedi prochain pour me convaincre qu'ils restent le groupe le plus important de notre époque : le talent exceptionnel - de compositeur, d'arrangeur - de Jack Barnett a porté en 2010 le rock vers de nouvelles hauteurs, qui semblent désormais inaccessibles au commun des mortels.
PS : Lisez l'intégrale de ce CR sur le blog des RnRMf***s...