Florence + The Machine à la Sala Heineken le lundi 15 mars
21h40 : comme toutes les belles femmes, Florence (+ The Machine) se fait attendre, et attaque notre rendez-vous avec quarante minutes de retard, et après que son groupe ait pris possession de la scène dans une ambiance fantastique (semi-obscurité et respiration déchirante sur la sono) : tout de suite, dans un jeu de lumières aussi intimiste que théâtral, Florence me plonge au cœur de "Lungs", avec Howl : grande rousse jouant de sa chevelure de feu, peau blanche et look troublant d'Anglaise vaguement languide, Florence transcende ses origines en se transformant en sorcière virevoltante dans un sabbat imaginaire, comme possédée par sa propre musique, marionnette souvent désarticulée malmenée par le Malin qui tire sans pitié sur ses ficelles. Florence, très vite, hurle à pleins... poumons (pourquoi donc quelqu'un lui a-t-il mis entre les mains un micro ? Elle n'en a nul besoin !). L'évolution de Florence depuis notre première rencontre est impressionnante : finis les délires hippies, voici désormais une harpie vociférante qui se déchaîne, bientôt pieds nus, sa robe transparente dévoilant de belles jambes blanches jusque très haut, entraînant avec elle sans son délire païen le public vite conquis. Oui, vite, très vite, malgré le niveau sonore plus que conséquent, on n'entend plus que les centaines de jeunes filles et de jeunes gens autour de moi qui chantent en chœur l'intégralité des morceaux de l'album : on frôle l'hypnose collective, Florence est-elle la chef d'une secte qui va s'immoler ce soir devant les panneaux publicitaires verts d'une bière de luxe ? Kiss With A Fist... Florence m'avertit qu'elle aime que dans un couple, ça castagne : l'amour, oui, mais vache. Il faut être prêt à tout avec elle !
Mais, mais, entre deux chansons, voilà que la méchante sorcière rouge se métamorphose en fillette timide, toute penaude de mener son public madrilène vers de tels excès : elle minaude, elle rougit, Florence, quand le démon de la machine la quitte, serait-elle une jeune anglaise banale ? Coucou aux parents, à la famille qui est venue voir fifille faire la folle jusqu'en Espagne. D'ailleurs, la jolie organiste blonde qui semble sortir du Conservatoire avec sa robe de soirée fait elle aussi un bonjour à ses parents au balcon... On n'est pas à un concert de rock, là, ce soir, si ? Et puis, amener ses parents à notre deuxième rendez-vous, elle exagère un peu, Florence, non, vous ne trouvez pas ? Ceci dit, moi, ce qui me gêne le plus, c'est quand Florence nous fait la braillarde, les bras grands écartés comme à la proue du Titanic : moi, j'ai des remontées d'acide gastrique en cauchemardant sur une Canadienne gueularde et populaire... Est-ce ce genre de destin qui attend notre sorcière bien aimée ? Non, non : arrive The Drumming Song, l'un des sommets de l'album, et du concert ce soir, et sous les percussions qui déferlent, Florence devient caisse de résonnance de toutes nos douleurs, nos tortures. Quand elle se contorsionne, en transe, ce n'est plus ridicule, c'est magique. Et ça continue, toujours aussi sublime, avec Cosmic Love, la transe revient totale, c'est pétrifiant d'un seul coup, et je réalise pourquoi la presse anglaise parle de "prestations scéniques exceptionnelles" à son propos : devant nous, il se passe quelque chose, Madrid retient son souffle, puis les gens se mettent à hurler, une vague d'hystérie déferle un court instant. Florence en est le médium, c'est une chose rare que d'assister à ça, oui, oui... Ce qui est drôle, c'est que presque immédiatement, alors que la chanson se poursuit, Florence recule, elle brise la transe, alors que tous les regards sont fixés sur elle, ceux de ses musiciens comme ceux du public : comme si elle s'excusait, elle fait un petit signe ironique... elle est allée trop loin, là où la musique devient si puissante qu'elle est dangereuse. On ne l'y reprendra plus de tout le reste de la soirée, qui restera désormais dans les limites du spectacle bon enfant.
Une heure a passé, on finit par une version torrentielle du magnifique Dog Days, mais alors qu'une nouvelle extase se pointe, Florence en fait trop : elle organise un pogo géant dans la salle, on n'est plus dans un bal des sorcières, on est au cirque. Dommage... De jeunes Anglaises profitent du chaos général qui s'ensuit pour se glisser au premier rang, alors que de nombreuses personnes perdent pied. Moi, je suis cramponné à ma barrière, et je ne vais pas abandonner Florence sans combattre. C'est la pause avant le rappel, qui se déroulera de la manière la plus conventionnelle qui soit : Got The Love pour considérer un avenir de diva soul et faire plaisir à la frange la plus "pop" du public, puis un Rabbit Heart que tout le monde chante en chœur, oui, le crique continue, la magie puissante ne reviendra plus. Une heure quinze ou presque, Florence est en train de devenir une star, même si je suis incapable de prévoir ce qui va se passer pour une jeune femme aussi... différente, aussi... étrange.
L'intégrale de ce CR se trouve posté sur le blog des RnRMf***s !