Richard Hawley à la sala Heineken le samedi 13 février
Il est 21 h 00 passé de quelques minutes, et cinq
quadragénaires au look "teddy boys",
très "classe" dans leurs costumes sombres et leurs chemises
blanches, banane et gomina, montent sur scène... Richard Hawley va donc tenter
de recréer l'ambiance magique de son "Truelove's Gutter" avec un groupe
des plus classiques : guitare (et pedal steel), basse, batterie et claviers.
Car, débarrassé de tout le matériel qui l'encombrait et qui a été disposé sur
scène, c'est bien tout simplement un clavier vintage qui est disposé au fond,
et non pas je ne sais quel matériel moderne comme je l'avais ridiculement
supposé au début ! Dans une semi obscurité, au sein de laquelle ne brille guère
que la lumière du chevalet installé devant Hawley (des problèmes de mémoire ?),
et qui ne facilitera guère les photos, le groupe attaque l'introduction
"planante" de As The Dawn Breaks... et c'est parti pour
l'interprétation quasi-intégrale du chef d'œuvre de l'année (et pour une fois,
les mots de "chef d'œuvre" que j'use bien sûr à tort et à travers
comme tout le monde de nos jours, ne paraît pas exagérée...). Le son est
parfait, à la fois fort - plus que ce genre de musique ne l'appelle
généralement, en particulier dans les aigus pour les étonnantes parties de
guitare... mais j'y reviendrai ! -, et surtout, la voix de Hawley est aussi
belle que sur disque, peut-être un poil plus chaleureuse, même. Le groupe
enchaîne immédiatement sur Ashes on the Fire, et l'ambiance de la soirée
s'installe : recueillement et sophistication... et donc un début d'inquiétude
pour moi : comme on pouvait le craindre avec ce "genre de musique",
ne va-t-on pas assister à un concert très professionnel, du fait de la
concentration nécessaire à tous pour faire "revivre" la perfection
absolue de l'expérience du disque ? Entre l'application des musiciens qui
doivent reproduire la tessiture richissime (n'oublions pas que le disque fait
appel à de multiples instruments originaux ou bizarres...) et le public auquel
Hawley demande assez fermement de rester silencieux ("Now shut up, I am
trying to sing a fucking song here !" alors que les applaudissements s'éternisent
un peu trop entre deux morceaux !), où allons-nous trouver l'excitation du
"live" ? Eh bien, c'est Hotel Room, le quatrième morceau, qui
va apporter la réponse : la guitare de Hawley se met doucement à s'enflammer,
et un long solo s'insère dans la chanson, un solo qui monte crescendo,
déversant sur nous le feu électrique qui nous manquait : eh oui, j'avais tout
simplement oublié que Hawley est guitariste de profession (il a fait le
mercenaire au sein du groupe essentiel que fut Pulp, pour vous situer le
bonhomme...), et croyez-moi, ce n'est pas un manche... Loin des clichés guitar
hero qui dépareilleraient sa musique subtile, il joue plutôt des solos
abstraits et noisy, qui emportent l'auditeur dans un monde de sensations, un
peu à la manière du travail d'un Will Sergeant chez Echo, sauf qu'ici l'élément
tellurique invoqué est le feu et non l'eau. Le public décolle rapidement -
comme toujours à Madrid, il y a vraiment une magie "madrilène" qui
pousse les artistes à donner le meilleur d'eux-mêmes, ce soir, c'est encore une
fois (comme chez Cohen, par exemple) tangible -, et les musiciens se mettent
à sourire, avant que Hawley ne conclue : "Je sens que ça va être une bonne
soirée, aujourd'hui...". C'est Soldier On, juste après, qui va être
le sommet de la soirée, et ce pont particulier, seul moment d'intensité du
disque, qui se transforme ici en longue dissertation électrique, qui met tout
le monde à genoux : oui, pendant une petite dizaine de minutes, nous allons
vivre une sorte de perfection extatique, entre la beauté de la mélodie et cette
explosion noisy qui couronne la chanson, et dont on ne voudrait qu'elle ne
finisse jamais.
Ensuite, ensuite, Hawley va s'évertuer à nous faire retrouver
notre calme, et le concert aura trouvé son rythme, jusqu'à sa conclusion, un Don't
You Cry très accrocheur... mais n'atteindra plus non plus la même hauteur,
malheureusement. Du fait de la difficulté de prendre des photos, faute de
lumière, et souhaitant plutôt me concentrer sur la musique, j'ai rangé mon
Lumix et je me contente d'absorber par tous les pores l'ambiance si
particulière que Hawley cherche à créer : chaleur, tendresse, attention à
l'autre, aux petites choses qui font la vie,... on sent chez lui une
application à vivre et chanter cette vie de la manière la plus honnête possible
(For Your Lover Give some Time, avec ses paroles tellement justes sur le
manque d'attention à l'autre, sera un grand moment d'émotion : je pense à ce
moment au beau film de Kore-Eda, "Still Walking", pour la manière
dont l'art, le vrai, aide à mieux vivre), qui tranche certainement avec
les sensations que les jeunes rockers transmettent habituellement à leur
public. Il me faut dire, arrivé à ce stade, que Richard Hawley n'a pas vraiment
été gâté physiquement par la nature : bec de lièvre, petit nez rond,
lunettes conséquentes... mais, comme dirait Cohen, "he was given the gift
of a golden voice", alors... Il est quand même assez difficile de cerner
pendant les 100 minutes que durera le concert quel genre d'homme est Hawley :
visiblement peu démonstratif, il paraît parfois presque tyrannique avec ses
musiciens (il faut voir le geste tranchant avec lequel il intime le silence à
son organiste !), alors que, plus tard, se laissant aller à un moment
d'émotion, il présentera ses musiciens - à la fin - comme ses
"frères" sans lesquels il ne serait pas là. Mais Hawley reste
"so british", entre son accent prolo bien marqué de Sheffield, et son
humour à froid : il compare son organiste, dont seule la tête émerge derrière
son instrument, à un "employé au guichet de la poste"... et, alors
qu'il nous remercie pour ce concert, qui serait "le meilleur de la
tournée...", il s'empresse de rajouter : "...mais il y en aura
sûrement d'autres, meilleurs, par la suite". Je dois dire que, celle-là,
je ne l'avais jamais entendue. LOL, comme ils disent !
Et c'est le rappel, qui est gonflé d'une chanson supplémentaire
pour nous remercier... et de fait, la set list ne contient pas une drôle de
chanson, que Hawley présente comme "très ancienne", et que
j'appellerai "The Crayfish", parce que ce mot revient souvent,
mais qui doit certainement avoir un autre titre. Un peu rockabilly sucré,
doo woop, une anomalie dans le set, mais un moment délicieux... avant le final,
grandiose, The ocean, et encore la guitare, toute en réverb et en
saturation, qui nous emporte sur des vagues d'émotion : c'est marrant, je pense
alors au titre éponyme de Lou Reed, dont les paroles sont presque similaires
("Here comes the wave"), mais la comparaison joue nettement en la
faveur de Hawley, c'est dire...
Voilà, c'est fini, mais on se sent bien dans la Sala Heineken qui
n'en finit pas de ne pas se vider. Je crois que personne n'a envie de retrouver
le froid dehors, alors que la musique de Richard Hawley a créé une sorte de
cocon de tendresse et de sensibilité autour de nous. Je fais un saut au
merchandising pris d'assaut, mais je n'ai pas vraiment envie d'acheter un
t-shirt (encore que "Time For Ballad" soit un slogan fabuleux...) ni
un album antérieur, de peur sans doute de ne pas y trouver le même
enchantement.
Note : L'intégralité de ce compte-rendu se trouvera posté sur leblog des RnRMf***s !