Rammstein au Palacio de Deportes le mardi 10 novembre
22 h 00 pile, précision germanique oblige...
Difficile de ne pas sentir l'excitation vous envahir lorsque dans le noir, le
rideau qui recouvre la scène commence à être déchiré de part et d'autre à coup
de pics pour laisser le passage aux deux premiers musiciens (bassiste à gauche,
guitariste à droite) de Rammstein. Puis, une minute plus tard,
c'est un chalumeau qui attaque par derrière la lourde plaque métallique au
centre, pour y découper un large orifice ovale par lequel entre en scène Tim
Lindemann, le chanteur au physique massif et impressionnant (il faut sans doute
cette carrure d'hercule des foires pour produire une telle voix caverneuse) : la
plaque ainsi spectaculairement découpée s'effondre dans un grand vacarme, les
lumières explosent, le rideau finit de s'ouvrir pour dévoiler les 3 autres
musiciens à l'arrière plan (une batterie entourée d'une guitare et d'un
clavier), et c'est par Rammlied, comme sur le dernier album, que
s'ouvre le concert. Malgré le côté spectaculaire de cette intro emphatique, je
ne trouve pas que le public ait basculé dans l'hystérie à laquelle je
m'attendais : la faute au son, qui, comme la dernière (et première) fois où
j'étais dans cette salle, est sourd, et pas tout-à-fait assez fort (moins
efficace que pour la première partie, un comble !). Ce problème de son va être
peu à peu corrigé au fil de la soirée, mais sans atteindre la perfection, et
sans que l'on puisse jamais arriver à l'extase qu'appelle cette musique jusqu'au
boutiste, tout au moins là où je me tiens, debout dans les gradins (car tout le
monde s'est levé au premier accord, et nous passerons - heureusement - les 100
minutes qui suivront à danser et osciller, sauvés de l'apathie que j'ai vu si
souvent régner sur les gradins de telles grandes salles).
Sur scène, le
décor - on dirait une vieille usine désaffectée du bloc soviétique, jusqu'aux
lumières, déguisées en matériel industriel - comme la mise en scène - centrée
principalement sur des flammes et des déflagrations sourdes - sont parfaitement
en phase avec l'imagerie "indus" - et la réputation - de Rammstein. Jusqu'aux
musiciens qui, depuis mon perchoir, me paraissent vêtus de salopettes
d'ouvriers, mais noires et en cuir (?), comme revisitées par l'imaginaire d'un
tenancier de club hardcore gay. Ce que j'apprécie, c'est que ce décorum
mi-rétro, mi sci-fi ne laisse aucune place à la moindre confusion : si la
musique de Rammstein est parfois martiale, si les textes en allemand ont
évidemment des résonances douloureuses, il ne plane sur le groupe aucune
ambiguité déplaisante, aucune fascination pour une quelconque imagerie nazie ou
même militariste.
Oui, à partir de cette intro lourde, le "spectacle
Rammstein" va se déployer, évoquant un monde profondément tellurique, sorte de
condensé des forges de Vulcain au sein desquelles de virils opérateurs
manipulent matières en fusion, carburants hautement inflammables, et explosifs
divers. Chaque chanson, baignée dans une atmosphère lumineuse réussie, est
normalement l'occasion d'une mise en scène particulière, presque purement
pyrotechnique : longues flammes régulièrement crachées par des dispositifs
divers sur, au dessus et autour de la scène, voire même permettant aux
musiciens de devenir d'hallucinants cracheurs de feu ; feux d'artifice divers,
le plus impressionnant s'avérant un "échange de tirs" entre la scène et la
console au centre de la salle. Quelques saynètes "amusantes" égayent même deux
ou trois morceaux : joli tour de prestidigitation quand l'un des musiciens (le
trublion de la bande, entièrement vêtu d'une combinaison pailletée, qui vient
régulièrement se moquer du sérieux général du groupe) est roué de coups par le
chanteur, tassé au fond d'un wagonnet avant de recevoir sur lui une coulée
d'acier fondu... Et de ressortir indemne ! Autre "bon moment", quand Tim arrose
d'essence l'un de ses acolytes à l'aide d'une pompe amenée sur scène à cet
effet, avant de le transformer en torche humaine que deux pompiers viennent
éteindre... Quelques rares métaphores "liquides", par contre, quand Tim à cheval
sur un canon rose - phallus géant - inondera la foule de ce qui ressemble à de
la mousse, ou, à la fin, quand dans le seul moment de franche poésie du show,
l'organiste-trublion partira naviguer sur la foule de bras tendus sur un dinghy
: c'est simple, drôle et beau, il fallait y penser... Il faut noter que, en
comparaison avec toute cette scénographie impressionnante, le jeu de scène des
musiciens reste assez classique et répétitif - la position un genou à terre du
chanteur qui "headbangue" -, l'énergie naissant plus du spectacle offert que de
la dynamique du groupe lui-même.
Je n'ai pas encore parlé de musique, et
c'est là que le bât blesse, car j'ai eu le sentiment que la musique, ce soir, a
été en deça des attentes de tous : oh, le Palacio tout entier a levé les bras en
rythme sur les hymnes de Rammstein, les têtes se sont rituellement agitées, il y
a même eu quelques ilots d'agitation au sein de la mer humaine dans la fosse,
mais je n'ai jamais ressenti ce basculement extatique qui caractérise un grand
concert, cet instant d'exceptionnelle osmose entre un groupe et son public qui
marque les souvenirs. Non, tout le monde a pris du bon temps, a chanté les
paroles en chœur (je n'imaginais pas qu'il y eut tant de Madrilènes qui
connaissent toutes les paroles de toutes les chansons de Rammstein !), a sauté
sur place lors des quelques accélération de tempo bien venues, mais on est quand
même restés "au spectacle, ce soir"... Pourtant, la musique de Rammstein est
irréprochable, bien supérieure à ce que l'on imagine a priori, trouvant un bel
équilibre entre évidence mélodique et martèlements indus, pas si répétitive que
cela (pas assez peut-être pour que la "transe" puisse être atteinte ?),
épisodiquement très belle, même. Rammstein a joué un bel assortiment de leur
dernier album - j'ai quant à moi bien aimé l'irrésistible Ich tu' dir
weh, et même la pause romantico-piafienne de Frühling in Paris -,
complété parce que j'imagine être une sélection de ses vieux hits - mais je ne
suis pas assez familier de sa discographie pour les commenter -, et la soirée
s'est terminée au bout d' 1h 40 et de deux rappels, par deux morceaux plus
"synthés", voire moins extrémistes qui laissaient enfin s'envoler l'imagination,
une fois le show pyrotechnique terminé.
Je suis ressorti de là avec un
léger sentiment de déception - j'aurais aimé ressentir la folie furieuse des
premiers concerts de Nine Inch Nails, qui restent ma référencer en matière de
musique indus... Et nous n'avons pas non plus assisté à un spectacle de pure
provocation comme le fameux clip "uncensored" de Bück
Dich sur YouTube le laissait attendre -, mais aussi
avec l'intense satisfaction d'avoir (enfin) rencontré un groupe singulier que
j'avais bêtement ignoré. Je me suis dit que je retournerais certainement voir
Rammstein, mais dans la fosse cette fois, pour pouvoir goûter de plus près à
l'odeur du métal en fusion.
PS : l'intégralité de ce compte rendu se trouve sur le blog des Rock'n'Roll Motherf***s !