Black Lips et Liars au Cabaret sauvage le jeudi 28 mai
Bon, les 50 minutes qui suivent, comme prévu, représenteraient une sorte de
vision de l'enfer sur terre pour 90% de la population "normale" de la planète !
Mais pas pour nous, fans de rock'n'roll ultime !! Aspergés de bière, recouverts
de crachats, broyés par l'habituelle bande d'abrutis qui doivent se mettre à 10
pour atteindre un QI de 85 (le public standard des Black Lips,
je ne peux rien dire, j'étais prévenu...), agressés en permanence soit par les
musiciens déjantés, soit par le public déchaîné, nous sommes dans un putain de
concert de putain de rock'n'roll : du garage, du saignant, du répugnant, du
violent. Mais ce qui me ravit, entre deux coups et deux poussées, c'est à quel
point cette musique est bonne ! Excellente même ! Pas besoin de connaître les
chansons à l'avance, on accroche immédiatement, chaque riff sursaturé, chaque
mélodie épileptique nous ravit, du coeur au bas ventre en passant par l'estomac,
mais sans jamais même effleurer le cerveau, un organe qui ne sert à rien quand
vous assistez à un concert des Black Lips... Garage, qu'on appelle ça, mais moi,
fan ultime des Kinks ou des Beatles, je ne suis pas dépaysé non plus, car je
retrouve derrière cette énergie brouillonne et crue un vrai savoir-faire dans
les compositions ! Allez, j'ose le dire, dans le genre "chats de gouttière
vivant dans les poubelles", le quatuor a même une classe épatante : devant moi,
le guitariste fou Cole Alexander (il me semble...) essaie de rattraper ses
propres crachats avec la bouche, avant de lécher le manche de sa guitare tout en
jouant, et de se jeter dans la foule sans cesser de mouliner. Il a tendance à
arracher le fil de sa guitare assez régulièrement, à force de courrir dans tous
les sens sur scène d'un air très énervé. Il suscitera mon admiration sans
réserve grâce à sa capacité originale de jouer de la guitare dans à peu près
toutes les positions imaginables : en se roulant par terre, porté par les
spectateurs, etc. Le batteur est un fou furieux, sans qu'aucun autre
qualificatif ne soit nécessaire pour qualifier l'ouragan derrière les fûts. Le
chanteur et bassiste, Jared - je crois - est presque euh normal, si l'on oublie
qu'il chante faux la plupart du temps. L'autre guitariste, dans le fond, est
carrément répugnant avec l'intégralité de ses dents remplacées par une denture
en or ! Brrrrrrrr ! Tout cela ne dure que 50 minutes, donc, mais 50 minutes
parfaites d'intensité, de joie méchante et de délire largement pervers. Au point
que, à la fin, on est partagés entre : 1) la fierté assez bête d'avoir survécu
au premier rang, et de n'avoir pas cédé un pouce, sans avoir pris pour autant un
coup de boule, voire un coup de couteau, pourquoi pas ? 2) le regret quand même
de ne pas pouvoir avoir pu jouir pendant 30 secondes d'un peu de tranquilité
pour mieux profiter de cette tornade...
Il n'est pas loin de 23 heures,
et on attend Liars avec un indéniable scepticisme, car comment
peut-on faire pour exister sur scène après les Black Lips ? Après la foire
joyeuse chez les attardés, Liars nous propose hystérie et neurasthénie chez les
schizos. Quand le trio entre en scène, impossible de ne pas trouver ça
impressionnant : une pulsation tribale (la batterie est en fait le seul
véritable instrument dans la musique de Liars, créant un martellement continu
sur lequel une ou deux guitares, voire une basse viennent rajouter quelques crachotements électriques), et par dessus, des hurlements, des gémissements de
bébé psychotique... Soit une sorte de musique de l'âme esquintée, à mi chemin
entre primitivisme et rock industriel. C'est impressionnant de voir Angus, le
géant chanteur, se laisser complètement aller à délirer de longues minutes dans
son micro, alors que, derrière lui, ses deux acolytes se contentent d'alimenter
une sorte de pulsation mécanique (je n'ai pas repéré beaucoup d'électronique
dans la musique du groupe, mais peut-être me trompé-je...) ininterrompue. Le
problème, pour moi, c'est qu'il n'y a là finalement que stase, sans tension,
donc sans explosion. Et que, jamais, jamais, la moindre beauté, même la plus
malade, ne surgit de cette auto-torture masochiste et finalement assez
complaisante. Au fil des cinquante minutes du set de Liars, l'excitation
qu'avait fait naître en moi leur apparition hystérique s'éteint peu à peu, et je
décroche devant ce qui ne me semble être qu'un spectacle bruitiste, certes
ambitieux, mais assez creux. Là encore, je dois dire que le groupe semble avoir
des fans inconditionnels, qui, extatiques, martèlent à côté de moi la scène en
rythme en hurlant le plus fort possible. Derrière nous, c'est à nouveau la
mêlée, même si nous serons considérablement moins bousculés que pour Black Lips
: un petit groupe de fans se laisse aller à délirer en trépignant, en poussant
des cris et en agitant leurs bras dans tous les sens à l'image de leur idole sur
scène. Curieusement, mais logiquement (?), il n'y a nulle joie, nul plaisir ici,
juste des soubresauts de malheureux s'agitant dans leur camisole de force.
Finalement, Liars ne joue pas du rock'n'roll, malgré les guitares saturées, mais
quelque chose d'autre, loin d'Iggy Pop ou de QueenAdreena auxquels on pourrait
d'abord penser (la scène comme lieu d'offrande de son corps et d'exorcisme de
ses démons...) : on est plutôt entre l'installation d'art conceptuel, si l'on
veut, et l'atelier libre d'expression des pulsions les plus
refoulées.
L'intégralité de ce compte-rendu se trouve sur le blog des rock'n'roll motherf***s !