Eli "Paperboy" Reed à la Maroquinerie le Mardi 15 Juillet
Au coeur de notre passion pour le Rock, il y a
inévitablement le désir un peu inavouable d'avoir toujours une longueur d'avance
sur le grand public, d'être les premiers à découvrir un nouvel artiste, un
nouveau groupe, quitte à vouer plus tard aux gémonies une musique que l'on a
aimée une fois qu'elle a atteint le succès populaire. En permanence à l'affût de
nouveaux noms dans les media (hier dans les journaux ou magazines, aujourd'hui
sur le net bien sûr), nous nous sommes retrouvés ainsi, au fil des années, aux
premiers concerts français, dans des salles minuscules, de futurs triomphes
planétaires... Ce mercredi estival, dans une capitale loin d'être pourtant
désertée encore par ses habitants (effet de la crise ?), nous faisons partie,
avec Gilles B, des quelques dizaines de personnes qui ont fait le pari
d'assister au premier concert donné en Europe par Eli (prononcez
"I-laï")"Paperboy" Reed & The True Loves, celui que l'on présente sans rire
comme "le Amy Winehouse masculin", et qui a plutôt décidé de réclamer la
couronne du royaume Marvin Gaye-James Brown.
Lorsque je retrouve Gilles B, vers les 19 h 30, il me paraît vaguement inquiet d'être ainsi entouré, devant les portes encore closes de la Maro, d'un public aussi hétéroclite que peu rock'n'roll. La moyenne d'âge est vraiment élevée ce soir, une bonne partie des gens ici pouvant être, non pas les parents, mais les grands-parents du poupin Eli, et leur "dress code" - costume cravate par ici, robe habillée par là - n'étant pas le plus approprié pour une salle comme la Maro : on verra leur surprise à découvrir la petite salle assez rustique, et d'avoir à s'asseoir à même les marches, pour une assez longue attente (pas de première partie ce soir...). Mais pas de crainte à avoir, ce public - inhabituel, sans plus - se révèlera parfaitement impeccable pour le show de ce soir, connaissant bien les chansons, visiblement prompt à l'allumage et à soutenir les efforts du groupe avec force cris d'enthousiasme et claquements de mains...
Eli monte sur scène avec son mini-big band - un peu
tassé, surtout les trois cuivres au coude à coude, juste devant Gilles et moi -
vers 20 h 45, et met la barre d'emblée très haut avec un morceau costaud et
rentre dedans - pas sur l'album : le son est impeccable, puissant et hargneux,
avec la voix, heureusement, bien distincte. L'accroche est immédiate, surtout
lorsque se morceau se termine sur une montée en puissance impressionnante,
finalement assez inattendue par rapport à un album un tantinet conventionnel,
voire "routinier", en tout cas profondément ancré dans une tradition que Eli
tient visiblement à perpétuer et à respecter. De cette tradition d'une musique
née dans les églises noires du Sud des Etat-Unis, Eli a gardé le look
(costume-cravate-chaussures sombres, chemise blanche, et pas question de
déserrer le noeud de la cravate malgré la chaleur torride dans la salle), le
discours (la Bible est citée au cours des 5 premières minutes, ce qui ne me
réjouira pas, vous vous en doutez, le soupçon "d'intégrisme musical" se doublant
alors d'intégrisme tout court) et surtout le style : exalté comme un prêcheur
pentecôtiste, souriant comme un croyant convaincu (en la force de sa musique),
Eli nous fait le
show comme si l'on était encore au début des années 60 lorsque
les blacks se révoltaient pour leur "civil rights". Car Eli se croit visiblement
black, et si sa voix n'a pas toujours sur le disque la texture et la beauté de
celle d'un Al Green, sur scène, avec l'énergie que lui et les True Loves
déploient, il arrive à donner le change. Ah ! les True Loves, parlons-en ! Car
la réussite de la soirée doit leur être attribuée autant qu'à la voix d'Eli : un
batteur spectaculaire, parfois en transes, des cuivres musclés et hilares, un
guitariste-slacker aussi passionné de cette musique qu'Eli, mais surtout un
enthousiasme et une cohésion qui font la différence, et portent le concert
au-delà du simple exercice de style.
Car, bien entendu, ce qui menace cette musique,
c'est son respect absolu des codes d'un genre aussi magique que légèrement
suranné (d'où ce public, aussi vibrant et passionné que, quelque part, un peu
momifié dans l'adoration d'une musique passéiste...) : finalement rien ne
distingue vraiment les compositions d'Eli (l'album sera joué dans son absolue
intégralité, augmenté de quelques morceaux, soit nouveaux - ce sera annoncé -
soit inconnus pour nous, à une exception près, on y revient tout de suite) des
classiques de la grande époque soul-rythm'n'blues. C'est un compliment, mais
aussi un problème lorsque l'on croit, comme moi - et Gilles B - que la musique
doit avancer pour vivre. Bon, foin de récriminations, ce soir a été quand même
dédié au plaisir pur de la soul la plus torride, et, à part quelques petites
baisses de régime occasionnelles, Eli & The True Loves n'ont pas déçu : les
meilleurs moments de la soirée ont été pour moi "The Satisfier", grande chanson
"james brownienne", un nouveau morceau plus rock intitulé, je crois, "Love of a
Man", et surtout le premier rappel, presque parfait... D'abord une belle version
de "I'll Roll With You", avec un Eli en solo - juste une trompette derrière -,
puis "Boom Boom" : Eli, quasi-possédé, a laissé tomber sa guitare, et peut
vraiment s'abandonner à l'extase religieuse de la musique, le public est
maintenant bien chaud, le groupe s'amuse visiblement, tout s'ajuste parfaitement
pour un final vraiment excitant. Au second rappel, ce sera LA surprise, qui
jette rétroactivement une lumière un peu différente sur Eli et son show : un
morceau strident (les cuivres hâchés), aux paroles qui convoquent des souvenirs
au fond de la mémoire de Gilles B, notre expert absolu... pas reconnu sur le
coup, mais quand j'aborde Eli à la fin du concert pour le féliciter, il le
crache le morceau : c'était... "ACE OF SPADES" ! Méconnaissable bien sûr, mais
quand même, on a du mal à imaginer ce grand garçon un peu rondouillard et très
propre sur lui, fan de Mötörhead !
En tout cas, voici qui termine bien cette jolie soirée, et ce concert d'une heure vingt quand même, plein d'enthousiasme et de générosité. Bon, pas sûr, pour revenir à ce que je disais au début, que nous ayons vu ce soir le futur du Rock'n'Roll, mais en tout cas, voilà une bien belle manière de transpirer un soir de Juillet !
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