Justice Vs. BxN
Comme des milliers d'internautes semble-t-il, j'ai regardé le "clip"
de Justice ("Stress") dont tout le monde - ou à peu près - parle. Je n'avais
pas particulièrement envie d'ajouter quoi que ce soit au flôt de
commentaires, critiques, condamnations et autres anathèmes qui ont fleuri un
peu partout. Sauf que, par hasard, quelques heures plus tard, je revoyais le
DVD du magnifique concert d'adieu des Bérus à l'Olympia ("Viva Bertaga !", datant de 1989), et j'étais
une fois de plus emporté par l'enthousiasmante folie générale à la fin
de "Porcherie". A un moment, Fanfan tend un micro à un jeune black dans la
salle (il n'y en n'avait pas beaucoup, à cette époque déjà, alors que le hip
hop français balbutiait encore, le rock, même extrême, était une affaire
de petits blancs...) pour qu'il chante lui aussi : "la jeunesse emmerde
le Front National", avec les centaines d'enragés qui pogotaient comme
des malades dans la salle de l'Olympia, qui n'avait jamais vu ça. Ensuite, Fanfan
a gueulé : "Jeunesse française, jeunesse immigrée, ensemble, nous sommes de
la DY-NA-MI-TE !". Et moi, devant ma télé, je pleurais. Et mes larmes
étaient des larmes de nostalgie bien sûr - après tout, c'était notre
jeunesse, cette fierté, ces idéaux, naïfs sans doute, mais qui offraient une
vraie direction dans la nuit du monde. Mais c'était aussi des larmes
de tristesse. Si la jeunesse des banlieues d'aujourd'hui, dont la
misère physique et morale est bien pire qu'il y a 20 ans, ne peut plus
que se référer à des images - bien léchées, efficaces, effrayantes -
de violence aussi auto-destructrices que celles de Justice, quel
espoir lui reste-t-il ? Sur la scène et dans la fosse de l'Olympia en 1989,
c'était le même malaise, la même haine, la même violence (d'ailleurs le
petit bourgeois moyen de l'époque avait sans doute aussi peur des cris de
"Vive l'Anarchie" des Bérus que du saccage aveugle des bandes de racaille
qui déferlent à la Gare
du Nord ou à la Défense) que celle d'aujourd'hui.
Mais ces cris de désespoir étaient collectifs, structurés dans un discours
(même incohérent, qu'importe !), transcendés par une vision idéalisée de
l'art populaire (les cracheurs de feu, les arts martiaux, les
danses folkloriques, les symboles de l'oppression renversés et caricaturés) :
ils étaient beaux. Et forts. Aussi nihilistes qu'ils aient pu paraître,
les képons qui criaient déjà "mort aux flics" croyaient à un avenir
meilleur. Aujourd'hui, ce que Justice, dans sa bêtise et son infamie, nous
dit, c'est qu'il n'y a plus rien que à attendre que la réussite individuelle
en détruisant l'autre, l'ennemi, en le massacrant. Sarko a déjà gagné.