Neil Young au Grand Rex le Jeudi 14 Février 2008
Je trouve d'abord qu'il y a toujours quelque chose
de surréaliste à aller voir un concert de rock dans la salle du Grand Rex, avec
ses profonds sièges en cuir qui invitent plus à piquer un roupillon qu'à vibrer
sur des solos au lance-flammes, et avec, ce soir, ses spectateurs très
"middle-aged" (j'ai vu plus d'une femme en robe de soirée !). Bon, d'abord j'en
fait partie de cette putain de génération des enfants de 68, qui ont rêvé avec
Neil d'un monde meilleur (... enfin, non, pas lui !), avant de le voir arriver,
ce monde meilleur, et de le faire sombrer corps et biens. Ensuite, qu'espérer de
plus d'un musicien de 62 ans, rescapé d'une attaque cérébrale, qui nous demande
de cracher 135 Euros pour le voir ? Même après des décennies à vénérer
littéralement Neil Young (à mon avis l'un des piliers de la musique américaine
contemporaine), le perspective de cette soirée ne me remplit pas, vous l'aurez
compris, d'un enthousiasme démesuré.
Ce soir, problème d'avion et tout,
j'arrive seulement une 1/2 heure avant l'heure officielle du début des
hostilités, et le plaisir de nos habituelles conversations (les deux Gilles sont
là aussi, mais à une autre rangée de sièges - les places étant numérotées) est
réduit à sa portion congrue...
20 h 35 : on attend Neil... Ben Keith et
Rick Rosas montent sur scène, et puis... non, c'est à sa femme Pegi qu'on a
droit ! "Les cheveux blonds, ça lui va moyen à Neil" plaisante quelqu'un,
derrière moi. 40 minutes d'une country nashvillienne et traditionnelle sans une
once d'inspiration : bien chantée, bien jouée (forcément !), entrecoupée de ces
déclarations terriblement gentilles et lénifiantes, tellement américaines qui,
quelque part, font peur (sur la St Valentin, sur la belle salle, etc. etc.), une
musique d'une insignifiance consternante... Qui, par contraste, souligne le
génie de Neil d'avoir su tirer pendant 40 ans des joyaux de cette gangue
collante et informe qu'est la musique country (Comme il le dira plus tard avec
son habituelle ironie vaguement hargneuse : "Il y a aux USA un genre de musique
qui s'appelle country music, et il yest d'usage d'écrire des chansons sur sa
camionnette et sur sa mère")... Après cette paisible souffrance, bien accueillie
quand même par un public trop aimable, 15 minutes d'entr'acte...
21 h 30
: Neil débute son set solo, et la première impression, même si on l'a vu sur les
DVDs récents, est que l'hiver de sa vie est arrivé. Entre chaque chanson, à le
voir déambuler entre ses instruments, on a l'impression qu'il est un peu perdu,
et derrière cette nouvelle nonchalance, se dégage une certaine tristesse. Neil
évoque le souvenir de sa grand mère qui jouait du piano bastringue dans une
ville minière, et on craint un instant qu'il n'enfourche les vieilles chimères
du "c'était mieux avant"... Mais c'est l'humour noir et acide qui ressurgit, et
après un démarrage assez inquiétant ("Ambulance Blues", quasiment jamais jouée
sur scène et donc inespérée, n'a plus guère de sa noirceur angoissante...), au
fur et à mesure que les chansons s'enchaînent, il me semble que la silhouette de
Neil grandit, que la dureté qui a toujours contrasté avec la fragilité de
certaines de ses plus belles chansons, réapparait. Musicalement, la voix est
toujours belle, même si elle a finit par perdre cette tonalité enfantine qui la
rendait exceptionnelle, et la virtuosité stupéfiante à la guitare est là, au
point peut-être même de rajouter un soupçon de complexité à des chansons
tellement parfaites qu'elles n'en ont pas besoin. Summum du set, "Cowgirl in the
Sand", d'une beauté et d'une sècheresse à couper le souffle : des frissons
partout, et les larmes aux yeux. Juste derrière dans le top des grands moments
du set, "Harvest", si rarement jouée, et "Don't let it bring you down" tellement
jouée, elle, mais quasiment intacte après presque 40 ans. 1 h 05, et Neil quitte
la scène.
Encore 25 minutes d'entracte... qui permettent de "se
réaligner" un peu avec les copains et aussi de s'éloigner de l'atmosphère
pesante qui règne autour de moi, entre un Anglais furibard de s'être fait piquer
sa place pendant la première partie, et mon voisin de derrière, sorte
d'ayatollah de Neuilly-en-Sarkozy que la lumière de l'écran de mon Lumix
indispose ! Sur scène, les roadies essayent de mettre un peu d'ordre dans
l'indescriptible capharnaüm qui y règne, entre une foule d'instruments et de
décors bizarres, aussi laids qu'inutiles (mais on est habitué à l'humour tordu
et pas drôle de Neil, aussi bien qu'à son perfectionnisme obsessionnel en ce qui
concerne le son)...
23 h 00 : la partie électrique du set commence
seulement, et je me prépare à une courte nuit, la malchance voulant que je
doive me réveiller demain à 4 h 30 à nouveau pour filer sur Lyon. "Mr Soul",
d'emblée, nous confirme ce que la lecture de la set list du concert d'Anvers 3
jours avant nous avait fait comprendre : Neil va nous emmener dans un "journey
through the past", avec l'objectif de retrouver la flamme et l'innocence de ses
premières années. Et, de fait, ce soir encore, le concert sera consacré au début
des années 70 et au dernier album, dans un grand écart ne laissant pas de place
pour les flamboyantes et tonitruantes années 90. Et, peu à peu, le miracle
"électrique" se produit : même si on n'a pas Crazy Horse sur scène (le fin Ben
Keith ne jouant clairement pas le même rock boueux et lourd que Frank Sampedro,
ce qui laisse Neil seul responsable de déchainer la tempête), même si le son -
excellent - est ridiculement bas pour un concert de Neil, le charme opère : au
bout de quelques morceaux, Neil semble avoir perdu (gagné ?) 10 ans, et retrouve
ces poses hargneuses et échevelées (même s'il ne lui en reste plus beaucoup, de
cheveux) que nous adorons lui voir prendre depuis des décennies. Sur le côté
droit de la scène en face de moi, un peintre expose sur un gigantesque chevalet
ses peintures - laides au possibles, mais on connait les goûts de chiottes de
Neil -, censées illustrer chacun des morceaux (heureusement qu'y figure le titre
de la chanson, d'ailleurs). Neil, lui, est maintenant d'humeur à plaisanter, ce
qui veut dire que son regard "au rasoir" et son sourire de loup traduisent son
habituelle méchanceté : il faut l'entendre présenter Rick Rosas, avec lui depuis
20 ans, comme "un nouveau venu dans la bande... D'ailleurs nous avons discuté
pour la première fois aujourd'hui...!". Ceux qui, comme moi, on eu la chance de
lire "Shakey", l'extraordinaire biographie de Neil écrite par Jimmy McDonough savent que c'est là la
probable vérité...
L'honnêteté m'obligera à ajouter que le set
"électrique" ne sera pas une tornade de bout en bout, Neil faisant redescendre
(un peu trop) la pression en enchainant un lugubre "Bad Fog of loneliness" et
son anecdotique version de "Oh Lonesome Me", qui ravira pourtant les
spectateurs, en plein trip "nostalgie". Mais, indéniablement, et le respect que
nous avons tous je pense pour le "Loner" vient aussi de là, ce qui intéresse
Neil, c'est de jouer ses nouveaux morceaux, variant du jouissif (l'obscénité
rigolarde de "Dirty Old Man"... Oui, Neil aime toujours le "pussy"...) à
l'épique ("No Hidden Path", sommet de la soirée, superbe cavalcade échevelée et
lyrique, avec un Neil, vieux tigre furieux, grimaçant face aux soleils glaçants
des spots... Impressionnant !), en passant par le simplement splendide ("Spirit
Road", grande composition, avec son refrain incantatoire, malheureusement peu
partagé par une foule sans doute ignorante des "Chrome Dreams
II").
Rappel, pour conclure près de 2 h 25 de bonne et belle musique,
avec un "Cinnamon Girl" impeccable et un "Like a Hurricane" dont le démarrage
épique m'a fait dresser tous les poils du corps (quelle chanson magnifique, sans
doute toujours la plus belle écrite par Neil, avec cette vision de l'amour
tornade emportant tout, même si en son centre, y règne le calme...!). Le
problème de "Like a Hurricane", c'est qu'à force d'avoir constitué "l'acmé" de
centaines de concerts, il est désormais difficile de ne pas avoir l'impression
de refaire une nième fois le même tour de montagnes russes, malgré les efforts
de Neil de renouveler l'attaque de ses soli. L'autre problème, c'est que "No
Hidden Path", un quart d'heure plus tôt, avait été tout simplement
parfait...
Mais ne faisons pas la fine bouche, si ce n'était l'erreur
stratégique du choix de la salle (ambiance compassée et son insuffisant), on
aurait sans doute assisté ce soir à un nouveau concert légendaire de Neil Young.
Dans l'état des choses, ça n'aura été qu'un très beau concert !