Jett Rock'n'Roll à Paris
Connaissez-vous le mouvement "Jett Rock'n'Roll" ?
Non ? Moi non plus, jusqu'à hier soir, rassurez-vous ! Il faut dire qu'on ne
compte qu'un seul groupe qui se réclame de ce mouvement...: "Guitar Wolf", trio
punk-noisy-garage et déjanté japonais (si si !), dont le leader-guitariste voue
un culte à Joan Jett (cela vaut mieux qu'à Rachida Dati, si vous voulez mon
humble avis !). Et ils jouaient en ville, hier soir, en ce mois de Juillet aussi
froid que l'enfer. Et nous y étions, bien sûr, les deux Gilles et
moi.
Mon premier concert à la Maroquinerie, lieu tant
chanté dans ses chroniques par Gilles B : de l'émotion, c'est un peu comme
perdre son pucelage, non ? Bon, une chouette salle en effet, avec une superbe
acoustique, et des marches tout autour offrant un refuge à ceux qui voudraient
échapper au mosh pit - ce qui sera notre cas (une bonne décision) ce soir... A
l'entrée, on vend des "acou-fun", silicone pour les oreilles et contre les
acouphènes, avec le ridicule argument suivant : "Le niveau sonore va être élevé,
ce soir, vous savez !". Mauvais Marketing, comme une atteinte à la virilité des
spectateurs, non ? On est venu là pour se faire exploser la tête, eh, patate
!
En entrée, les Français de "The Four Slicks", qui
jouent du rockab' bien traditionnel, avec le look qui va bien (bananes, gomina,
cuir et lunettes noires), mais quand même avec une agréable modernisation (si
l'on peut dire) pub rock : donc à donf'. Charlie, le chanteur, ressemble à un
croisement sous le signe du Jack Daniels de Philippe Manoeuvre et de Philippe
Djian, et a une voix approximative, dont il nous fera douloureusement bénéficier
durant la seule minute et demi lente de leur set emballé de 35 minutes. Mais
pour le rock, cela va le faire, d'autant que les musiciens, le guitariste
surtout, nerveux et souriant, ne sont pas des brelles. Un excellent moment de
pur rock'n'roll, comme disait l'autre, même si le manque de bonnes compositions
rend le tout un peu trop uniforme. Et puis, comme disait Gilles P, on aurait
bien aimé une belle reprise d'un classique, en cerise sur le
gâteau.
Les trois Japonais de "Guitar Wolf" font aussi dans
le look "plus rock'n'roll que moi, tu meurs", et on va vite se rendre compte
qu'il s'agit exactement de cela : une célébration bizarre (japonaise...!) de
tous les rituels du "lock'n'loll". Les poses spectaculaires, les riffs d'acier,
les Marshall fumants, les tatouages du batteur (tendance yakuzas, quand même),
les badges qu'on embrasse en signe de vénération, les harangues au public
(hilarantes parce que complètement inintelligibles, en yaourt anglo-nippon), le
cuir noir comme une seconde peau, les lunettes noires comme de seconds yeux...
nous sommes ici au coeur d'un rituel sauvage, à la fois grotesque (mais d'un
grotesque parfaitement revendiqué) et touchant (car nous partageons tous ici
cette foi dans le fait que le Rock'n'Roll, lorsque tous les potentiomètres sont
dans la zone rouge, peut nous sauver, non ?). Les autres divinités majeures de
ce rituel sont les Cramps (diffusés par la sono) et les Ramones (en - très
longue - intro et en conclusion du concert), mais il faut bien dire que Seiji
(le Guitar Wolf de Guitar Wolf) a un talent tellement limité à la guitare que
même l'imitation des Ramones lui est impossible : s'il y a évidemment un bémol
au plaisir que l'on peut tirer de ce set furieux, qui voit la plupart des
morceaux enchaînés les uns aux autres sans une seconde de pause, c'est que la
musique, approximative et seulement sauvée par le niveau sonore et la distorsion
furieuse, n'atteindra jamais la puissance et la frénésie de ses modèles. Quant
aux compositions, elles ne sont en fait que des copies assez fades - mais
implacables, quand même - des grands hymnes inventés depuis des décennies par
les Stooges ou le MC5.
Il faut donc un certain temps pour se mettre "dans
l'ambiance", le petit théâtre parodique de Seiji ne favorisant pas la
concentration du spectateur sur la musique : et que je te vide une bière cul
sec, à la verticale, dans un pose qui évoque plus Spinal Tap que Jeffrey Lee
Pierce, et que je te fais parader un roadie grimé qui brandit un panneau "SEX"
pendant la chanson du même nom, et que je m'amuse à faire sur scène une
pyramide de spectateurs sur laquelle je puisse grimper (du jamais vu, et
certainement le moment le plus drôle !). Et puis, frénésie de la fosse aidant,
on se laisse aller à ce délire furieux, qui évoque dans ses meilleurs moments,
quand Seiji arrive à peu près à jouer un riff correctement, les grandes heures
du Hardcore des années 90. Arrive le morceau où Seiji fait jouer de la guitare à
un spectateur - superbe illustration du fait que le Rock, c'est pour tout le
monde... - et confie ce soir son Empire noire à Jon, le brillant gratteux des
Four Slicks, qui, tout en technique et en speed tranchant, met le feu à la salle
en deux accords (on voit la différence !) : Seiji et Jon finiront le morceau
dans un slam joyeux, et ce sera pour moi le plus bel instant d'une soirée
finalement très réussie. Quant au plus absurde et finalement, curieusement
sympathique, ce sera le retour en second rappel de Seiji, tout seul, pour 10
minutes de grand n'importe quoi à la guitare (Hendrix chez les trisomiques ?)
qui laissera tout le monde assez décontenancés.
Et le niveau sonore, me direz-vous ? Eh bien, mes
amis les acouphènes m'ont raccompagné chez moi, et j'ai dit adieu - sans regrets
- à une autre fréquence auditive. Mais cela aurait pu être plus fort encore, non
?